Déjà fragilisés par la crise, les managers doivent aussi affronter une profonde remise en cause de leur mode de fonctionnement. Ceux qui s'en sortent sont les managers qui obtiennent des résultats à court terme, tout en gardant la hauteur indispensable à leur fonction. C'est dans la tourmente que l'on reconnaît les bons capitaines!
"En matière de management, c'est comme dans l'art, beaucoup d'appelés, peu d'élus!" Ces propos ont au moins le mérite de la clarté, même s'ils ne sont guère encourageants dans la conjoncture actuelle. Une conjoncture dans laquelle, avant de s'interroger sur "suis-je ou non un bon manager?", la plupart des "managers" en viennent à se demander ce que peut bien, être le management tout court.
Jusqu'aux années 80, les choses étaient relativement simples: le manager gérait, dans une période de croissance, des moyens et des hommes avec des objectifs relativement définis. Aujourd'hui, les cartes sont brouillées. L'incertitude quant aux perspectives à moyen et longs termes ne facilite pas la tâche de ceux qui ont à gérer d'autres hommes, à quelques échelon où ils se situent dans la hiérarchie. On n'est plus en situation d'allocation des ressources mais de mise en tension créatrice des individus. Il n'empêche que beaucoup de "middle managers" ont l'impression d'être pris entre le marteau et l'enclume: ignorants de l'avenir de leur entreprise et du leur, on leur demande néanmoins de continuer à mobiliser leurs troupes autour d'objectfs flous. Cela en évitant, dans le même temps, de laisser transparaître une quelconque angoisse qui aurait un effet boule de neige sur l'ensemble de leurs troupes. Depuis quelques années, on assiste à un rejet des difficultés de l'encadrement supérieur vers l'encadrement intermédiaire, taxé par la direction de conservatisme. Car, l'incertitude est liée à la "crise" mais aussi aux méthodes de management elles-mêmes et à la manière d'exercer le pouvoir. Nous sommes dans une période où les idées et les théories concernant la gestion sont dans une phase de changement rapide et les pratiques ont du mal à suivre: il y a donc un décalage entre ce que l'on dit et ce l'on fait.
Autre décalage, celui de la pression du court terme. L'une des tâches traditionnelles du manager était d'avoir une vision à long terme, de prévoir. Aujourd'hui, conjoncture oblige, les résultats immédiats priment. En conséquence, on recherche à présent des gens capables d'être sous pression et de mettre la pression sur leurs collaborateurs pour obtenir des résultats à court terme.
Qui dit pression, dit tensions: le manager doit donc être aussi un habile négociateur. et pourtant, les entreprises qui ont réussi sur vingt ans sont celles qui ont le plus innové et crée de la valeur ajoutée, donc avec des managers ayant une vision à long terme. Court terme, long terme, c'est bien l'illustration que le profil du "bon manager" évolue au fil du temps et qu'il varie considérablement suivant le type d'entreprise: même si le court terme est aujourd'hui plus présent qu'hier, un manager d'une entreprise de haute technologie aura une vision du long terme nécessairement plus aigüe que celui d'une société de grande distribution.
Que la situation est compliquée... Le manager doit donc mobiliser sur des objectifs incertains, en obtenant des résultats à très court terme, tout en ne négligeant pas le long terme... Et en plus, sa légitimité même de manager est en cause ! Dans les années 70-80 régnait en effet l'ère du "tous managers". Pour réussir dans l'entreprise, il fallait nécessairement "manager". Avec parfois des dégâts considérables: en témoignent les cohortes d'ingénieurs passés au fil du temps dans des fonctions d'encadrement, se mettant ainsi dans des situations de surdimensionnement et de contrainte.
L'idéologie managériale était telle que l'on n'osait pas refuser une "promotion" à un poste d'encadrement. Aujourd'hui, des "top managers" (retour en force de l'actionnariat et des conseils d'administration) aux managers opérationnels (incertitude des objectifs, mutations culturelles affectant la notion de pouvoir), jusqu'à l'encadrement intermédiaire (disparition pure et simple), la remise en cause est généralisée.
Manager n'est plus un métier en soi
Aux Etats-Unis, où l'on n'est jamais en retard d'un gadget, on ne parle d'ailleurs plus de "managers" mais de "leaders". Et il apparaît clairement, aujourd'hui, qu'être manager n'est plus un métier en soi, il faut avoir une compétence technique, être manager de quelque chose.
La remise en cause actuelle ne doit pourtant pas conduire au pessimisme. Elle est salutaire: dans les années 70-80, c'était la grande utopie, tout le monde il est beau , tout le monde il est gentil, mais l'entreprise n'est pas une famille! C'est un lieu de production, elle prime sur les hommes. Conséquence: le propre d'un responsable, c'est de savoir tout le temps qu'il est un oiseau sur la branche, ce qui ne doit pas l'empêcher de s'investir totalement dans l'entreprise, c'est un militant d'une cause, mais pour une période donnée.
Une prise de conscience difficile pour le "middle management" qui ne sait pas encore que "même s'il est le noyau dur de l'entreprise, il n'en est est qu'un élément variable. Un manque de culture économique lié, à l'omniprésence des ingénieurs dans cette catégorie socioprofessionnelle...
Une peur qui peut conduire au conformisme
En attendant, nos brillants managers ont la trouille. Une trouille qui les conduit au conformisme. "Si je suis en ligne de mire, je suis menacé". Grave, car, dans une entreprise, c'est le dirigeant qui donne le ton, et lorsqu'il dit A, cela se traduit par 100A dans les échelons inférieurs.
Une note de bon sens pour conclure. Dans le grand maelströn actuel, une constante surnage: pour être un "bon" manager, encore faut-il avoir soi-même une dimension humaine forte. Misanthropes s'abstenir !