Il vous hurle dessus matin et soir, passe son temps à dire que vous êtes nul(le), change de cap et l'ordre du jour au gré de ses humeurs et de ces caprices. C'est sûr, votre boss est un tyran ! Ca ne se soigne pas, mais ça peut se gérer. Certains y parviennent.
Sept ans après avoir quitté son job d'assistante de Direction, Nathalie fait encore des cauchemars. Lorsqu'elle raconte comment se passaient ses journées, on comprend rapidement pourquoi... "Mon patron ne savait pas parler autrement qu'en hurlant, se souvient-elle, il m'imposait de laisser la porte de son bureau ouverte pour écouter ce que je disais..."
Humiliation. A l'occasion, il ne se privait pas de débouler pour lui passer un savon toutes affaires cessantes s'il captait une conversation téléphonique qui lui déplaisait avec un fournisseur. "Il était complétement cyclothymique. Le matin, il hurlait sur tout le monde, il se calmait dans l'après-midi et recommençait le soir comme pour nous pourrir la soirée". L'en-fer ! Autre cas rencontré, Laurence, Responsable d'un département international, elle subit des crises d'autoritarisme à peine croyables de la part de son supérieur hiérarchique. "Il aime m'humilier en public, raconte-t-elle, il lui arrive de déchirer mes documents en me regardant bien droit dans les yeux et en ponctuant son acte d'un "Revenez me voir quand ce sera réécrit." Comme à l'école." Il se complaît à diviser pour mieux régner, affuble ses collaborateurs de surnoms aussi charmants que "gros c..", "crâne d'oeuf"... tient des propos sexistes, grossiers, etc, et n'a pas son pareil pour exploiter la faille de chacun. Parfois, il va même jusqu'à lui imposer son rythme de travail. "Lorsqu'il voit qu'une réunion s'éternise, il n'hésite pas à rentrer dans la salle et m'ordonner de l'abréger, sous prétexte que si l'on a besoin de plus d'une heure pour prendre une décision, c'est que l'on est improductif", dit encore Laurence.
Comment des collaborateurs peuvent-ils trouver la force de se faire tyranniser de la sorte?
Pour des raisons à la fois objectives et subjectives.
Les raisons objectives sont faciles à comprendre. Elles sont principalement économiques ; à moins d'être dans un secteur en plein boom, la conjoncture est telle que l'on hésite à lâcher la proie pour l'ombre.
Les raisons subjectives, elles, relèvent de la psychologie humaine. En premier lieu, la peur du changement ; l'être humain n'aimant pas l'inconnu, envisager de changer de job représente un stress plus grand que de rester sous la férule d'un tyran.
La dépendance. En second lieu, la formation de la personnalité. Si, dans son enfance, une personne a été habituée à subir la tyrannie, c'est, pour elle, un mode de fonctionnement normal ; même si pour l'instant elle en souffre, ce n'est pas une raison suffisante pour se rebeller ou partir. En troisième lieu la force de la culpabilisation. Les tyrans ont tous une fâcheuse tendance à faire passer leurs collaborateurs pour des bons à rien. Le plus fort est qu'ils parviennent à les en convaincre. Reste, enfin, la dépendance. Malgré lui le tyrannisé a besoin de son tyran pour vivre ou pour se prouver quelque chose. "Il y a des moments où j'allais le chercher, explique Nathalie. Je cois qu'au fond de moi je cherchais à le conquérir. Il devait percevoir que je ne supporte pas qu'on ne m'aime pas." Laurence reconnaît, pour sa part que, si elle reste, c'est beaucoup pour une question d'orgueil : "Je ne veux pas le laisser me détruire, explique-t-elle, je me dis que je suis capable de surmonter l'obstacle, après tout c'est peut-être ça qu'il cherche d'ailleurs."
Et en plus, ils nient... Les tyrans, eux, ont-ils conscience de tous ces rouages psychologiques? C'est peu probable : ce qui leur importe, c'est que l'on suive leur rythme, quelles qu'en soient les raisons. Ainsi, Bruno, qui chapeaute un service logistique est souvent qualifié de tyran par les membres de son équipe. Il ne partage évidemment pas leurs avis... "Je ne suis pas tyrannique, jure-t-il la main sur le coeur, simplement comme je suis exigeant avec moi-même, je le suis avec les autres." Il n'empêche, il concède qu'il ne s'embarasse pas de formes ni de fioritures lorsqu'il doit adresser un reproche à un collaborateur : "Je vais droit au but, explique-t-il, je n'hésite pas à dire que le travail de tel ou tel fournisseur est inadmissible." et, si il jure ses grands dieux qu'il ne pense pas être castrateur, il avoue tout de même avoir toujours besoin de demander des modifications à tout ce qu'on lui propose parce que "ce n'est jamais assez bien". Il n'empêche, de son point de vue, "on a vite fait de me traiter de tyran alors que je suis exigeant, cela évite de se remettre en question".
Accro du téléphone. Valérie qui travaille quotidiennement sous ses ordres n'a pas la même perception de la chose... "Parfois, il téléphone quinze fois dans la journée pour savoir comment avance le projet qu'il a demandé en urgence la veille. Si je ne réponds pas, il appelle mon voicin de bureau où je suis ; pour moi c'est de la tyrannie !" Après tout n'est-ce pas le rôle d'un chef de s'assurer que le travail avance et qu'il avance bien? On peut être exigeant envers ses collaborateurs, mais c'est dans le relationnel que l'on ne doit pas se montrer tyrannique ; il faut par exemple savoir faire des compliments quand une chose est bien et des reproches quand elle est mal.
Bref, tout est dans la forme. Là où le tyran beugle un "Ton document est à c..., refais-le moi pour demain matin première heure !", le manager exigeant non tyrannique fera l'effort de rester dans le factuel, d'expliquer pourquoi telle ou telle formulation est mauvaise ou en qoui un comportement peut poser un problème pour la bonne marche de l'entreprise.
Et pourtant, travailler sous la coupe d'un tyran, c'est possible. En premier lieu, il faut savoir qu'il n'existe pas un seul type de tyran mais plusieurs. Ainsi, avec un hyperstressé, par exemple, qui est en perpétuelle lutte contre le temps et qui preçoit les autres comme des rivaux dans toutes les situations, vous devez être 100% fiable et irréprochable sans pour autant vous laisser imposer un rythme infernal. A l'inverse, évitez à tout prix les compétitions inutiles (attention pour ce type de despote, "tout" est compétition !) et surtout ne réagissez jamais à chaud.
Avec un tyran de type narcissique, qui est persuadé que le monde est à sa botte, vous devez accepter d'être flagorneur sur les bords, de mettre votre amour propre en sourdine et de ne rien attendre en retour d'un service que vous lui aurez rendu.
Les voies légales. et si, quel que soit le type de dictateur auquel vous avez à faire, la tyrannie tourne au harcélement, et qu'il est inenvisageable de changer de job, il vous reste les voies légales. Il ne faut pas hésiter à utiliser l'institution. A savoir alerter l'inspection du travail, le département des ressources humaines s'il y en a un, et si on sent que l'on tombe dans la dépression, le médecin du travail. Si c'est possible, de provoquer une réunion avec le n+1 du tyran et à ne pas hésiter à dire les choses cliarement. Trop souvent, on finit par accepter la version du chef pour être tranquille. C'est comme ça que la tyrannie s'épanouit. Et si ça n'est pas gérable, faites comme Nathalie, qui a profité de la énième fois où son patron lui a dit: "Vous êtes virée !" pour le prendre au mot et négocier un licenciement.