Au jeu du savoir mentir, patrons et salariés rivalisent de prouesses. Boniments, baratin ou impostures, les mensonges rythment la vie quotidienne de l'entreprise. Prudence toutefois: les plus gros ne sont pas forcément les plus efficaces. Typologie.
Toute vérité n'est pas bonne à dire, c'est bien connu. Et dans l'entreprise encore moins qu'ailleurs. Afin que le parcours professionnel se rapproche davantage d'un "long fleuve tranquille" que d'un piste de bobsleigh, il faut en permanence composer et manier avec dextérité concessions et artifices.
Parfois - pour la bonne cause évidemment - il faut en passer par de menus mensonges. Entre collègues, afin de ne pas froisser les susceptibilités ou pour améliorer l'ambiance du travail, cela se révèle sans conséquences. Mais lorsque le mensonge empoisonne les rapports hiérarchiques ou devient un mode de gouvernement d'entreprise, les conséquences peuvent être plus graves.
Voici un petit florilège de situations auxquelles chacun a été confronté à un moment ou à un autre dans sa vie professionnelle.
Mentir pour gagner du temps
C'est l'une des formes les plus répandues du mensonge "managérial". Il s'applique par exemple parfaitement à une demande de promotion. Le supérieur hiérarchique de la personne qui sollicite un "coup de pouce" dans son ascension au sein de l'entreprise n'a pas répercuté cette demande à l'échelon supérieur, pour une multitude de raisons, bonnes ou mauvaises. Que faire pour ne pas confesser cet "oubli", et ainsi décevoir ou démotiver un collaborateur compétent? Il est tentant de lui certifier que sa demande, par ailleurs en bonne voie d'aboutir, a été transmise et soutenue. La réponse risque d'être longue à venir. On promet de l'avertir dès que l'on aura des nouvelles. Avec ce pieux mensonge, on peut espérer qu'il ne reviendra pas à la charge avant quelques semaines, voire plus. Mais ce pari hasardeux risque d'empoisonner l'atmosphère.
Ici, le mensonge agit comme un calmant, efficace à condition de ne pas forcer la dose, et de ne l'utiliser qu'une seule fois. On capitalise grâce à lui de précieux jours, ayant ensuite tout loisir de préparer et de faire accepter une décision finale. Il est très pratique pour toutes les demandes comportant des mots qui se terminent par "tion", comme augmentation, promotion, formation, mutation,etc...
Mentir pour garder le pouvoir
Ce mensonge est peu glorieux et rarement indispensable, ses bénéfices étant intégralement réservés à son utilisateur. C'est cependant une variante de mensonge très répandue, car extrêmement facile d'emploi. plus connue sous le nom de "rétention d'information", elle permet aux "sachants" de préserver leur savoir et, du moins l'espèrent-ils, leur ascendant sur des subordonnés parfois trop curieux, ou trop intelligents... En fait, elle est largement pratiquée par ceux qui craignent qu'on ne prenne leur place. On ne s'y attardera pas plus que ça... Ou juste pour donner à ses adeptes la phrase suivante à méditer: "Celui qui croit fuir son destin est seulement attaché par une corde plus longue."
Mentir pour se valoriser
Un manager, quelles que soient ses qualités humaines, délivre avant tout un message et fait appliquer un système de valeurs qui lui viennent d'"en haut". Or il a besoin de fédérer ses équipes, de constituer pour elles un moteur, pour qu'elles travaillent en harmonie et soient plus productives. Comment peut-il se valoriser? En mentant effrontément, sur des sujets invérifiables. On l'aura compris, ce mensonge est léger et pétillant comme une bulle de champagne, puisque destiné à se faire mousser auprès des interlocuteurs. Au sein de l'entreprise, il commence souvent par le récit d'une bataille: "Je me suis tellement acharné..." ou bien "J'ai réfuté une à une toutes les objections", et se termine irrémédiablement par celui d'une victoire: "Il a craqué et fini par accepter!" "Il" étant, bien entendu, son propre supérieur hiérarchique, une femme ou un homme que les collaborateurs connaissent à peine et que le "menteur" présente toujours comme un être particulièrement rigide et difficile à convaincre. Evidemment, emporter "sa" décision n'a pas été si ardu, peut-être même a-t-"il" dit oui sans discuter. Peu importe, voilà bien une stratégie inoffensive, qui permet de passer pour un "caid" à peu de frais. C'est le mensonge le plus émouvant, car il touche de près à l'enfant vantard qui sommeille en chacun de nous.
Mentir pour éviter de se faire pièger
Voilà bien une situation fort embarrassante, et malheureusement assez courante : obéir au "grand patron" sans pourrir ses relations avec son chef direct. Lorsqu'ils donnent des instructions contradictoires et que les relations entre eux ne sont pas au beau fixe, la situation devient franchement dangereuse. La seule possibilité est de mentir par omission, de privilégier les bonnes relations avec son supérieur direct. Mais, dans ce genre d'impasse, on ne peut que conseiller de faire le gros dos en souhaitant que les deux chefs règlent leurs querelles sans passer par l'intermédiaore d'un tiers.
Mentir pour rassurer son supérieur
Employé par la filiale française d'un grand groupe international, vous devez rendre prochainement un rapport très attendu, rapport qui sera transmis à votre chef avant d'être présenté par lui-même aux Etats-Unis. Vous n'avez aucune raison de vous inquiéter outre mesure. Certes, vous avez pris un léger retard dans la dernière partie du travail, mais vous savez pertinemment que vous serez prêt dans les temps. Votre patron, en revanche, est plus fébrile à l'idée d'"auditionner" devant les grands pontes new-yorkais, et ne cesse de vous harceler pour lire votre oeuvre avant l'heure. Le connaisssant bien, vous pouvez parier que, s'il apprend où vous en êtes, il est bon pour un infarctus. Donc, ne lui dites rien à ce sujet, mais garantissez-lui l'issue heureuse de votre dossier. Affirmez-lui par exemple: "J'ai presque terminé, mais je voudrais d'abord travailler sur la mise en page avant de vous le présenter." Glissez-lui subtilement que vous allez fignoler le tout au cours du prochain week-end, cela le culpabilisera un peu et le rassurera beaucoup: il aura ainsi le sentiment que vous vous donnez vraiment les moyens de produire quelque chose de bien.
Dans ce cas de figure, le subordonné joue le rôle du parent réconfortant et chaleureux qui ment à un enfant (son supérieur hiérarchique) pour ne pas le décevoir ou l'inquiéter inutilement, et aussi pour avoir la paix. Une tromperie pleine de bons sentiments, en somme...